Santé : Le dentaire, nouveau terrain de jeu de la lutte contre la fraude
La fraude à l’assurance de personnes est estimée entre 2% et 10 ou 15% des cotisations encaissées. Si aujourd’hui les principaux efforts de lutte contre la fraude sont concentrés sur l’optique, le dentaire est un terrain propice à la sur-facturation, dans le contexte du 100% santé.
La lutte contre la fraude devient essentielle dans un contexte d’automatisation des procès, d’entrée en vigueur de la réforme du 100% santé et d’émergence de nouvelles méthodes de détection issues de la data science. Ces méthodes permettent d’identifier des individus ou des actes atypiques et de quantifier la fraude potentielle.
La lutte contre la fraude à l’assurance santé et prévoyance progresse tous les ans, grâce aux nouvelles techniques de datamining, au big data et à l’intelligence artificielle, selon Addactis et Joxa qui ont organisé une conférence sur le sujet le 28 novembre. Les enjeux financiers sont importants pour améliorer les équilibres techniques des acteurs complémentaires.
Une longue lutte en optique
Ces dernières années, la lutte contre la fraude a ciblé principalement l’optique. « Nous sommes naïfs, nous ne sommes pas outillés et les abus sont nombreux chez certains professionnels de santé. Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras », affirme Caroline Touizer, directrice des relations avec les professionnels de santé de Santéclair.
Santéclair a mis un place un arsenal de mesures préventives pour combattre la fraude. La première d’entre elles consiste a vérifier l’existence du magasin d’optique et ses droits pendant toute la durée de vie. Dans le cadre de son nouveau conventionnement, Santéclair vérifiera également la traçabilité des verres en amont de la facturation dans le réseau, ainsi que le respect par l’opticien des prix limites de vente.
Caroline Touizer alerte sur l’existence de trafic de cartes de tiers payant dans certaines régions et sur l’existence de nouvelles pratiques de fraude qui incitent les assurés à se prendre en photo avec leur carte de tiers payant pour recevoir une paire de lunettes de marque. L’entrée en vigueur de la réforme du 100% santé provoquera un déplacement de la fraude car les indicateurs d’aujourd’hui ne seront pas les mêmes demain, selon Santéclair.
La mise en place d’une politique de contrôle a permis d’assainir le réseau. Ainsi, Santéclair a résilié 250 opticiens sur 5 ans. Le réseau de soins n’est pas habilité à porter plainte contre les opticiens qui pratiquent la fraude, car c’est le porteur de risque qui en subit le préjudice financier. Pour ce réseau, un seul dossier frauduleux suffit pour porter plainte mais les assureurs sont plus tolérants et préfèrent uniquement attaquer en justice les fraudeurs récidivistes.
La politique de Santéclair de lutte contre la fraude a donné des résultats : 11% des dossiers transmis par des opticiens du réseau se sont avérés frauduleux pour un montant moyen de 21 euros, tandis que hors réseau, le nombre de dossiers non conformés grimpe à 64% pour un montant de fraude de 177 euros en moyenne.
La CNIL doit trancher
Opticiens et réseaux de soins sont actuellement en désaccord concernant le transfert à l’organisme complémentaire des codes détaillés. « Les opticiens se battent pour ne pas nous transmettre la correction visuelle, pas pour protéger les données médicales du patient, mais pour éviter de se faire contrôler ! », dénonce Caroline Touizer. En effet, les réseaux de soins, opérateurs de tiers payant et assureurs réclament ces codes détaillés pour pouvoir rembourser correctement l’assuré mais également pour pouvoir lutter contre la fraude. Sans ces codes, le réseau ne peut pas savoir si la correction de la vue de l’assuré a évolué, ce qui justifierait qu’il puisse bénéficier d’une nouvelle paire de lunettes sans attendre 2 ans. La CNIL a été saisie par la Cnam concernant le transfert des codes détaillés. Son avis est fortement attendu. Par ailleurs, les organismes complémentaires s’opposent frontalement à l’idée d’un tiers payant généralisé en optique qui passerait par le régime obligatoire et empêcherait donc les organismes complémentaires de vérifier la pertinence des prestations qu’ils remboursent.
La nouvelle donne en dentaire
Jérôme Tillette de Mautort, directeur du développement et des relations extérieures d’Almerys, considère que la nouvelle convention dentaire est « du pain béni » pour les dentistes. « Le 100% santé oriente les soins vers les prothèses de très haut de gamme qui augmentent en prix et en volume. Ainsi, la part des couronnes céramo céramiques explose de 7,4% à 16,8% sur l’ensemble des couronnes unitaires posées », observe-t-il.
Pour rappel, la convention dentaire avait pour objectif de revaloriser les soins conservateurs et de plafonner les honoraires de certains actes prothétiques. La part des soins conservateurs, revalorisés en 2019, a augmenté de 7,9%. Le volume des inlay-core a baissé de 7,6% à 2,4%. Parallèlement, les
inlay onlay sont passés de 0,6% à 1,4%. Les prothèses unitaires ont également diminué, de 10,4% à 9,4%. Les couronnes unitaires, dont le prix a été plafonné ont également baissé de -9,6%. Les bridges, pour leur part, ont baissé en volume et passé de 1% des actes à 0,9%.
Au niveau des honoraires donc, les honoraires de l’acte moyen sont en baisse de -5%, selon Almerys. L’acte moyen était facturé à 171 euros en 2018 et à 161,98 euros en 2019. Au niveau global, les honoraires des dentistes sont en hausse de 3,3% depuis avril. Cette hausse représente le double de l’évolution annuelle entre 2015 et 2018.
Pour lutter contre la sur-facturation et s’assurer de la pertinence des soins, Almerys a recruté un dentiste conseil qui analyse les devis et les prises en charge. Suite à l’analyse de 441 devis et prise en charge dentaires de moins de 1.000 euros, l’opérateur de tiers payant a identifié 82% prises en charge conformes, 8,6% de cas où le tarifs appliqués ne sont pas correctes, 5,7% de cas avec des erreurs de cotation, 2,9% des cas avec des tarifs anormalement élevés et 0,5% des dossiers suspects de fraude. Si au total, en volume, 17,7% des actes contiennent des erreurs, en montant ce sont 37,4% des prestations payées qui sont erronées. Pour les prises en charge de plus de 1.000 euros, 37,4% des actes se sont avérés non conformes en volume, soit 43,5% des prestations en montant.
Une charte avec les dentistes
Jérôme Tillette de Mautort a annoncé que les syndicats de dentistes et la FNMF sont en train de négocier une charte pour définir le rôle des dentistes conseil. Ce projet de charte est critiqué par certaines organismes complémentaires dès lors qu’elle est rédigé par les syndicats de dentistes et qu’elle impose des contraintes aux organismes complémentaires.