L’argus de l’assurance du 2 juillet 2020

Complémentaire santé : confusion sur les dépenses hospitalières…

Conséquence de la crise sanitaire, les Hôpitaux de Paris souhaitent supprimer le ticket modérateur. Un projet qui intervient alors que la prise en charge des hospitalisations liées au Covid-19 n’est pas très claire.

La crise du Covid-19 pourrait bien avoir des conséquences inattendues pour les organismes d’assurance maladie complémentaire (Ocam). Dans sa contribution à la concertation engagée dans le cadre du Ségur de la santé, la réforme que vient de lancer le gouvernement après la crise sanitaire, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a proposé de supprimer le ticket modérateur à la charge des organismes complémentaires sur certains soins hospitaliers. Une prise de position qui intervient dans un contexte particulier, marqué par un regain de tension entre les Ocam et les pouvoirs public.

Si la plupart des soins hospitaliers sont pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie, un ticket modérateur (TM) est appliqué sur les séjours en médecine, qui ne comprennent pas d’acte chirurgical (comme dans le cas du Covid-19), rappelle-t-on. Cette participation des organismes complémentaires s’élève à 20 % du tarif journalier de prestations (TJP), fixé librement et de manière peu transparente par chaque établissement, et qui peut représenter un montant de plusieurs centaines, voire plus d’un millier d’euros par jour. Ainsi, un séjour en réanimation, comme il y en a eu pour les cas graves de Covid-19, peut laisser aux assurés et / ou à leur complémentaire santé un reste à charge de l’ordre de 10 000 €.

Un recul des actes sans précédent

D’un côté, les hôpitaux ont été débordés par l’afflux de cas de Covid-19 ; d’un autre, 73 % des interventions chirurgicales programmées ont été annulées dès le début de la crise sanitaire, rapporte une étude du cabinet d’actuaires Addactis. Et la baisse d’activité sans précédent des soins de ville (de 90 % pour les dentistes, 80 % pour les radiologues, 51 % pour les médecins spécialistes et 30 % pour les généralistes) constatée par l’Assurance maladie durant le confinement a donné des arguments au ministère de la Santé ainsi qu’à celui de l’Action et de Comptes publics pour demander aux organismes complémentaires un effort financier face aux coûts de la crise sanitaire.

Simplification

C’est ce ticket modérateur que l’AP-HP vient de proposer de supprimer. Non pas que l’institution n’ait pas besoin de cette ressource. Mais, pour elle, avoir deux financeurs, l’Assurance maladie d’une part et les Ocam d’autre part, est une source de lourdeur administrative. L’AP-HP explique que mettre un terme à cette architecture de double financement permettrait d’économiser l’équivalent de 1 500 emplois, qui pourraient être réaffectés à des soignants. Une idée dans l’air du temps à l’issue de la crise du Covid-19, lors de laquelle des soignants ont dénoncé, entre autres, les lourdeurs administratives à l’hôpital.

L’AP-HP estime aussi que, si les pouvoirs publics souhaitent maintenir une part de financement privé, l’Assurance maladie pourrait intervenir directement auprès des Ocam. Une idée qui fait penser à une contribution forfaitaire, en d’autres termes une taxe. Curieusement, l’AP-HP écarte aussi la facturation du supplément chambre individuelle, au motif qu’elle doit devenir un standard pour des raisons d’hygiène. Un supplément qui a souvent donné lieu, selon les Ocam, à des pratiques abusives, les chambres individuelles étant souvent attribuées d’office et étant également facturées lorsqu’elles sont standardisées dans les établissements rénovés. Et, l’an dernier, un décret avait autorisé les hôpitaux à facturer le jour de sortie.

De plus, une certaine confusion règne encore quant à la prise en charge des dépenses liées au Covid-19. D’un côté, le gouvernement avait annoncé que l’Assurance maladie prendrait en charge l’intégralité des dépenses liées au Covid-19. D’un autre, certains organismes complémentaires auraient déjà reçu des factures liées aux hospitalisations pour cause de virus ; ce n’est pas le cas pour la grande majorité, les hôpitaux étant débordés et n’ayant pas encore eu le temps de faire leur facturation.

En temps normal, les factures sont traitées jusqu’à trente jours après la sortie de l’assuré et il peut y avoir jusqu’à 30 % de factures non recouvrées – ce qui peut justifier la position de l’AP-HP. Par ailleurs, on a noté une prévalence importante d’assurés sociaux couverts à 100 % au titre des affections de longue durée (ALD) parmi les personnes touchées par des formes graves du Covid-19. Reste à savoir comment les services administratifs des hôpitaux vont les traiter.

A première vue, la suggestion de l’AP-HP allégerait les charges qui pèsent sur les complémentaires, puisque les soins hospitaliers (4,94 Md€ de prestations sans les dépenses dites « hôtelières » comme les chambres particulières) sont devenus le premier poste de dépenses des Ocam. Pourtant, ce n’est pas une bonne nouvelle pour ces derniers. « Cela réduirait les assureurs complémentaires au rôle de financeurs du petit risque, de la “bobologie”. Vu le niveau des taxes et des frais, cela risquerait de déséquilibrer fortement le marché en rendant la complémentaire santé beaucoup moins attractive pour beaucoup de Français », analyse Josette Guéniau, associée au cabinet Joxa.

Tiers payant

Pour comprendre la portée d’une telle idée, il faut aussi savoir que Martin Hirsch, le directeur général de l’institution à l’origine de cette proposition, n’est pas connu pour sa grande affinité avec les complémentaires santé. En janvier 2017, il avait lancé, avec Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po, l’idée d’une « assurance maladie universelle » issue de la fusion des complémentaires santé avec l’Assurance maladie. Ils évoquaient, entre autres avantages de ce projet, la suppression des tickets modérateurs qui n’ont, selon eux, jamais fait la preuve de leur efficacité. Qui plus est, l’actuel ministre de la Santé Olivier Véran n’est pas connu non plus pour ses positions favorables aux organismes complémentaires.

Enfin, cette prise de position surgit curieusement, alors que l’année 2020 devrait être marquée par la généralisation du tiers payant entre l’hôpital et les assureurs santé. Le projet ROC (remboursement des organismes complémentaires) doit en effet trouver son aboutissement et automatiser un tiers payant encore largement pratiqué de manière manuelle.