La tribune de l’assurance du 2 avril 2019

Le RAC 0 à la charge des petites mutuelles

Le 100 % santé adopté le 3 décembre dernier dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020. Ce faisant, la réforme vient de nouveau bousculer le marché de la complémentaire santé et les réseaux de soins.

Le répit aura été de courte durée ! Après l’ANI et les paniers de soins, c’est au tour du « 100 % santé » ou « reste à charge zéro »  de venir chambouler le secteur de la complémentaire santé dès le 1er janvier prochain. Le 100 % santé en dentaire, optique et audioprothèses vient aussi bousculer les réseaux de soins et les oblige à revoir leur offre. Pour Jean-Marc Boisrond, président du directoire d’Itelis : « Cette réforme interpelle l’ensemble des acteurs intervenant en complémentaires santé, pas seulement les réseaux de soins. Dans ce cadre, nous devons faire évoluer nos offres avec nos clients que sont les organismes complémentaires afin de proposer des solutions attractives pour les assurés tant dans le domaine des paniers de soins réglementés qu’en dehors. La réforme peut être une opportunité pour proposer de nouvelles approches. »

Pour l’heure, les réseaux de soins gardent leur légitimité aux yeux des assurés : « Les Français doutent de la qualité qui sera proposée au sein des paniers 100 % santé et font confiance aux réseaux de soins pour leur apporter des solutions. Au-delà des paniers de soins proposés dans le cadre de la réforme, nous avons la possibilité de répondre aux besoins spécifiques des assurés tant au plan médical que sur des aspects de confort et d’esthétique. Cela se vérifie non seulement en optique mais aussi en dentaire avec l’implantologie notamment… », rassure le président du directoire d’Itelis. « Nous continuerons à développer de nouveaux services dans d’autres domaines de la santé, notamment la prévention tant pour les assurés que pour les entreprises », ajoute Jean-Marc Boisrond.

Impacts tarifaires

Outre les réseaux de soins, les complémentaires santé seront directement affectées par la réforme, notamment dans leur tarification. « Selon le niveau des garanties, nous estimons un impact qui pourra aller du simple au triple, allant d’un léger gain de 1 à 2 points sur le ratio sinistre sur prime, à potentiellement +15 %, +20 % sur ce même ratio avec un impact sur les cotisations qui pourra être calé en conséquence », prévoit Charles-Philippe Mourgues, Deputy Health & Benefits Practice Leader chez Aon. Les contrats qui devraient être les plus affectés seront ceux en entrée de gamme ou qui sont, aujourd’hui, à 100 % de la base de remboursement.

Cependant, il est encore difficile de savoir quelles seront les conséquences exactes de la réforme sur les cotisations. « Les actuaires doivent prendre en compte des facteurs qui ne relèvent pas de techniques assurantielles. Il est difficile d’appréhender de manière fine quels seront les changements comportementaux des adhérents induits par le RAC 0, notamment en termes de rattrapages de soins. C’est la même chose concernant les professionnels de santé. Les calculs se font sur des hypothèses difficiles à maîtriser. Chacun regarde les statistiques sur le renoncement aux soins. Ce sont des approches sans réelle précision. Il risque d’y avoir des erreurs et approximations. On ne pourra avoir une vision claire que dans deux, trois ans, une fois un éventuel pic de rattrapage de soins passé », analyse Xavier Toulon, cofondateur du cabinet Joxa.

Pas d’engagement pour 2020

Les assureurs s’étaient engagés à ne pas augmenter leurs cotisations pour 2019 auprès de la ministre de la Santé. « Je n’ai pas entendu d’engagement pour 2020 », indique Charles-Philippe Mourgues. Cependant, « difficile de demander à certaines complémentaires santé de prendre en charge d’aussi importantes augmentations de garanties, pour les contrats d’entrée de gamme, sans qu’elles ne les répercutent sur leur tarif. Le RAC 0 va surtout mettre en difficulté les opérateurs avec des portefeuilles de seniors en entrée de gamme. Beaucoup n’auront pas de latitude pour lisser les coûts sur l’ensemble de leur portefeuille. Je pense ici aux petites mutuelles », explique Xavier Toulon.

Ainsi, les petits opérateurs individuels pourraient être amenés à répercuter les coûts dans les tarifs, posant un autre problème. « Le RAC 0 va permettre à beaucoup d’accéder à des soins auxquels ils avaient renoncé. Cependant,  certains des acteurs seront obligés d’augmenter sensiblement leurs tarifs pour le cœur de cible que sont les seniors, au risque de se retrouver dans une impasse. Le RAC 0 c’est bien, encore faut-il pouvoir se payer la garantie », conclut Xavier Toulon.